" Une pièce. Une pièce qui tourne. Qui tourne sur elle même, qui monte et descend. Dans un mouvement nerveux. Nerveusement désespéré. Un désespoir de ne pas se rappeler. Se rappeler du passé. D'un passé oublié. D'un oubli jamais vraiment total.
Une pièce. Un peu comme moi. "
Le kama cessa son mouvement lent et répétitif, fermement retenu dans la paume de l'écaflip. Celui-ci, emmitouflé dans sa cape, dissimulant sa face sous sa coiffe et ses mèches, fixait intensivement le disque d'or, mais à travers lui, se fixait lui même. Après un petit moment de silence, il rangea la pièce dans sa poche, releva le chapeau qui masquait son visage, dévoilant de grands yeux bleu électriques dans lesquels semblaient se dessiner des trèfles, et souria à Isaya. Un sourire un peu forcé, mais tout de même sincère; car il est difficile de vraiment aimer un parfait inconnu; car on ne peut pas montrer à ceux qu'on aime un air abattu. Même ci ceux si ne sont plus vraiment les même...
" Cette description est somme toute assez évasive, mais elle est la plus fidèle... Et je ne ressens pas le besoin de parler de moi plus en détails. Pas encore. "
" Pas encore "... Non pas qu'il n'était pas encore temps... Mais que répéter ce temps une fois de plus serait sans doute lassant et inutile.
Trop perdu dans ses pensées, le félin ne fit pas cas des réponses de la sram... Pas dans les détails. Mais il arrivait à saisir le sens de ses phrases.
" Et puis, pourquoi le devrais-je? "
Il s'adonnait à ce genre de petite discussion pour gagner du temps: pour trouver les mots qui lui manquait. Pour réunir les souvenirs qui lui échappaient.
" Je te disais être victime de nostalgie... Je crois que j'ai enfin mis le doigt dessus. Qu'une expression me restait coincée au fond de la gorge. Je viens de la retrouver. Que tu me rappelais deux ou trois personnes. J'ai à nouveau leurs visages en tête.
Dis moi... Sais-tu que malgré que deux êtres soient des personnes distinctes, il peut leur arriver de partager la même âme? "
Incrédulité. Ou dédain? Ou alors, idées toutes faites... L'écaflip se plongeait trop dans sa mémoire pour le savoir désormais. Comme plongé dans une transe, son corps s'était figé dans une raideur presque cadavérique, le regard dans le vide, les yeux mi clos, les mains parfois agitées de spasmes. Il déballait les mots à un rythme ininterrompu. Plonger dans sa propre âme n'est jamais une chose qui se fait en douceur.
" Et peut être que si ce que je vais dire ne te remémore sur l'instant aucun souvenir... Peut être qu'autre part, un morceau de toi va s'en souvenir...
Thalie. Quelque part, dans un pays lointain, peut être même bien dans un autre monde, c'est une déesse, je crois bien. Ou tout du moins une muse. Muse de la joie de vivre, muse de l'humour. Inversée, mise à l'envers... On obtient de l'avarice, déguisée en mouchoir pour mieux extorquer, peut être inconsciemment, des choses aux autres. Amis, bonheur, biens matériels... Qu'en sais-je? "
D'un coup, les yeux bleu foudre se réveillèrent. Traversé d'une étincelle, la vie s'y relogeant, ils transmirent à leur propriétaire un pelage en sueur et des mains agitées de tremblements incessants, avec, en face, une sram troublée. Par lui? Par ses paroles? Qui peut le dire... Daclusia l'aurait pu, sans doute. Si il n'avait pas été dans un état si fragile. Il se secoua le visage. Que de ressentir une sensation physique, même celle d'une baffe auto infligée, était agréable... Chose qu'il savait depuis longtemps: nous sommes dépendant de nos sens et de ce qu'ils nous donnent, aussi ingrats nous montrons nous à leurs égard...
Reprenant peu à peu le calme et le contrôle de ses mains, l'écaflip rembala ses affaires, sans un mot, sans un regard. Il laissa comme seule trace de son passage un as de trèfle au dos bleu à symbole blanc, planté sur le bois d'une table. Au pas de la porte, il se retourna brièvement, comme si il avait oublié quelque chose, et lâcha sobrement:
" Rien n'arrête La Caravane. "
Isaya était seule dans la salle de l'aéroport. L'écaflip couleur chocolat avait disparu, dans un soupir, comme une pensée parasite, ou un rêve d'été trop vite oublié. Parti comme il était venu. Tout cela était-il réel, ou un rêve d'été...?
Sur une table de la pièce, une carte se tenait bien droite, casée dans une planche. Sa face indiquait un as de trèfle, et son dos un papillon blanc sur fond bleu.